02/03/2022 | Jean-Marie Charon, sociologue, décrit la transformation de la presse
Jean Marie Charon, sociologue des médias, chercheur associé au Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS), décrypte la crise de la presse quotidienne et le difficile virage vers le numérique. « Les journaux ont perdu 30% de chiffre d’affaires en 10 ans. Qui peut supporter ça? » interroge-t-il. Si aucun média n’a encore décroché la martingale du modèle économique stable sur le web, le sociologue souligne la rareté du modèle Aqui!, pure player gratuit d’information régionale en Nouvelle-Aquitaine. Notre média s’ouvre aujourd’hui au crowdfunding.
@ Organisation mondiale de la santé! : De profondes turbulences secouent les médias, les transitions numériques fragilisant leur structure économique. Sur le même sujet : ▷ Gérez la visibilité de votre entreprise sur Internet. Mais le problème n’est pas d’hier ?
Jean-Marie Charon : Le mouvement a pris une ampleur particulière depuis le milieu des années 2000. Les plus grands opérateurs Internet, à commencer par Google, puis les réseaux sociaux et d’autres comme Apple, ont bousculé tout le système des revenus publicitaires. On ne mesure pas, dans le temps, le trou qu’ils feront dans le marché publicitaire qui sera la principale source de leurs revenus et entraînera la disparition des publicités cachées dans les médias traditionnels. Deuxièmement, le budget des grands annonceurs se déplacera progressivement vers ces appareils numériques.
« Le smartphone déverse 80 % du matériel publicitaire »
On estime qu’entre 2007 et 2017, la presse écrite a perdu 30 % de ses revenus. Quels médias peuvent supporter cela sans trop de problèmes ? Ce premier effet de la presse écrite touche un public adulte. Chez les plus jeunes, voire les plus violents : un smartphone, outil d’accès à l’information et au monde, va détenir jusqu’à 80 % des ressources publicitaires pour nuire aux médias traditionnels.
@ ! Quelle est la relation entre les médias numériques et l’information gratuite ?
J-M C. : Ce ne sont pas les médias qui ont imaginé internet mais ce sont les sites de recherche ou de défense dont les cercles d’information étaient forcément gratuits. La presse s’y engouffre librement, mais n’a d’autre choix que de risquer le passage du train. Elle a accepté ce malheur en pensant que le nouveau médiateur générerait un large éventail de ressources publicitaires. Nous pensions alors que le marché soutiendrait globalement la gratuité de l’information et le financement de toutes les activités médiatiques.
La baisse de tension est venue et a endommagé cette structure. Aujourd’hui, face à la concurrence des réseaux sociaux, on sait que cette concurrence du marché publicitaire, qui repose sur la concurrence du push et de l’information simple, s’avère caduque. Début 2015, nous avons découvert que la liberté totale de la presse écrite entraînait une pauvreté informationnelle et des retards dans les ressources éditoriales.
« Ne désespérez pas de la qualité de l’information »
Du côté des médias écrits ou pure data players aujourd’hui, on voit des stratégies réussies qui façonnent l’intégralité de l’abonnement, comme Médiapart, ou d’autres comme Les Jours, qui ont un format libre ou intégré qui permet de toucher votre audience d’un jour. Ces différents modèles ont tous un impact sur les incitations des rédactions à fournir une information plus précise à plus forte valeur ajoutée et à ne pas négliger la qualité de cette valeur ajoutée.
@ ! Comment persuader le jeune public de revenir vers la presse ?
J-M. C. : Atteindre le jeune public grâce à l’accès gratuit nécessite d’investir dans les réseaux sociaux, d’investir dans des ressources et des groupes sans savoir comment ces groupes seront récompensés. Cependant, les jeunes lecteurs sont mieux connectés aux smartphones et aux réseaux sociaux, c’est donc là que l’on peut obtenir une reconnaissance de marque et un projet éditorial. Ensuite afin d’améliorer la scolarisation, il est nécessaire d’adopter une stratégie innovante qui nécessite un formatage vidéo, un podcasting, une recherche ou une solution de journalisme. Mais personne n’a encore de martingale !
Il n’est pas question de publication, qui répond aux besoins d’un public spécifique avec un certain type de contenu. Mais l’engagement numérique vous permet de maintenir une variété de relations en fonction du public auquel vous vous adressez. Cela permet de déterminer le paiement en fonction de l’âge, du lieu et des coûts.
@ ! Qu’en est-il des purs joueurs gratuits comme Aqui qui se concentrent sur les terrains ?
J-M. C. : Aqui.fr est un cas atypique. Il y avait Mars actu à Marseille, vers la Provence. Mais le projet est maintenant passé à l’inscription. La concurrence pour les téléspectateurs derrière les grands acteurs de l’internet est déjà perdue même dans les grands médias. Mais il existe une autre façon d’utiliser le réseau en créant des communautés intéressantes qui proposent des sujets pertinents qui touchent un grand nombre de personnes, comme les enjeux locaux, et les rassemblent autour de valeurs et de principes. Nous avons plusieurs exemples comme Rue89 qui arrive à soutenir des petits groupes même s’ils explorent actuellement les salaires. C’est très difficile pour les moteurs de recherche comme Médiacités, qui s’appuient sur des journalistes dangereux. On peut également estimer qu’en plus de l’inscription, l’allocation est encourue à travers un grand nombre d’investissements liés à un projet qui profite au public. Il ne sera pas possible de maintenir des recrutements à long terme, mais des projets devront être financés.
A propos de la collecte de fonds, Aqui! mène actuellement une campagne de financement, avec l’arrivée de l’équipe média de Keyop Media d’ici fin 2021. C’est le moment de participer à l’aventure et de soutenir Aqui ! en devenant actionnaire ici : https://www.happy-capital.com/projet/keyop-media/page
Transformation économique : quarante ans de service d’information citoyenne
Écrit par Jean-Marie Charon, Julia Cage. Janvier 2022 Editions les petits matins
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